Construire le pluralisme juridique au Guatemala




A l’époque de l’arrivĂ©e des Espagnoles, le Guatemala -peuplĂ© en majoritĂ© de Maya- se voit imposer un droit qui lui est totalement Ă©tranger et s’avère inadaptĂ© Ă  la rĂ©alitĂ© locale. L’utilisation du système juridique traditionnel Maya est alors interdite aux communautĂ©s. Aujourd’hui encore, le seul système de rĂ©solution des conflits reconnu par la Constitution reste le système Ă©tatique. L’association Defensoria Maya, auteur de cet ouvrage, lutte pour faire reconnaĂ®tre l’existence du droit Maya comme un vĂ©ritable système juridique et non seulement comme une tradition folklorique, opposable Ă  la fois aux communautĂ©s mayas et aux "ladinos1". Son travail consiste notamment Ă  revendiquer l’accès au droit des populations indigènes dans le cadre des tribunaux Ă©tatiques et Ă  promouvoir leur participation politique au travers de propositions lĂ©gislatives qui contribuent Ă  Ă©liminer la discrimination et le racisme Ă  leur Ă©gard. Le projet final de Defensoria Maya n’est pas de former un Etat maya Ă  l’intĂ©rieur de l’Etat guatĂ©maltèque mais de construire un système de justice pluraliste qui reflète la diversitĂ© de la sociĂ©tĂ© de ce pays, composĂ© de quatre peuples diffĂ©rents (Xinca, Garifuna, Maya et Ladino). Un droit fondĂ© sur des valeurs et une culture propre au peuple maya Le système juridique traditionnel maya peut se dĂ©finir comme la rĂ©union d’élĂ©ments philosophiques, thĂ©oriques et pratiques, fondĂ©s sur des relations entre les hommes et avec la nature, qui permettent de concevoir les relations sociales avec unitĂ©, harmonie et Ă©quilibre. Parmi les principes fondamentaux sur lesquels repose ce droit, on trouve notamment la continuitĂ© (rien n’est jamais achevĂ© ni parfait, tout doit toujours ĂŞtre sujet Ă  propositions), le respect (de ce principe naĂ®t celui de la rĂ©paration du dommage occasionnĂ©, que ce soit Ă  une personne ou Ă  la nature, particulièrement en cas de dommage intentionnel), le consensus (chaque partie doit faire des concessions et retirer une satisfaction de la solution), la participation (chaque membre de la communautĂ© et de la famille doit participer Ă  la dĂ©cision, ce qui donne une lĂ©gitimitĂ© Ă  cette dernière) et l’écoute (rien n’est dĂ©terminĂ© Ă  l’avance, l’écoute permet de connaĂ®tre l’opinion des diffĂ©rents membres de la communautĂ© et de rechercher la vĂ©ritĂ©). La justice maya n’a pas besoin d’un lieu officiel et fixe pour s’exercer. C’est un système Ă  la fois flexible et dynamique : la flexibilitĂ© se reflète dans la mĂ©thodologie utilisĂ©e pour rĂ©soudre les conflits visant Ă  appliquer une solution Ă  la fois conciliatrice et rĂ©paratrice ; le dynamisme se traduit par l’intervention de diffĂ©rentes autoritĂ©s tout au long de la procĂ©dure (anciens du village, membres de la famille, etc.), mĂŞme si une place importante est rĂ©servĂ©e Ă  la parole des individus concernĂ©s. Le droit maya peut Ă©galement ĂŞtre considĂ©rĂ© comme un droit prĂ©ventif, auquel il est possible de recourir avant mĂŞme que le conflit n’éclate. Chaque membre de la communautĂ© participe Ă  la rĂ©solution du conflit mais c’est d’abord Ă  travers le dialogue entre les deux parties qu’est recherchĂ©e la solution. Celle-ci doit pouvoir satisfaire les intĂ©ressĂ©s et apporter un bĂ©nĂ©fice Ă  la communautĂ©. Dans le cas d’un homicide involontaire par exemple, le coupable pourra ĂŞtre condamnĂ© Ă  assurer l’entretien des enfants de la veuve jusqu’à leur majoritĂ©. Vers une reconnaissance et une officialisation du système juridique maya Avant d’exiger la reconnaissance du droit Maya au niveau national, Defensoria Maya souhaite que son application soit d’abord renforcĂ©e au sein des communautĂ©s, que les principes soient systĂ©matisĂ©s et diffusĂ©s. Ce droit, transmis oralement de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, est en effet aujourd’hui parfois oubliĂ© au sein des communautĂ©s elles-mĂŞmes. Le système juridique lĂ©gal aujourd’hui en place au Guatemala est fondĂ© sur des valeurs Ă©trangères aux communautĂ©s indigènes et ne reflète pas la diversitĂ© de ce pays. L’accès Ă  ce système n’est pas garanti, mĂŞme si des efforts ont Ă©tĂ© faits par les autoritĂ©s pour que les indigènes puissent ĂŞtre jugĂ©s dans leur propre langue. Mais Defensoria Maya souhaite aller plus loin en leur permettant d’être jugĂ©s selon des règles et une procĂ©dure qui respecte leurs valeurs et leur culture et par un juge qui comprenne leur mode de pensĂ©e. Il ne s’agit pas d’intĂ©grer le système maya et ses mĂ©canismes au sein du système lĂ©gal mais de permettre sa reconnaissance au niveau national et son articulation avec ce dernier, pour que chacun puisse avoir recours au système de justice qui lui corresponde le mieux. Le Guatemala cherche depuis quelques annĂ©es Ă  rĂ©former sa justice en adoptant des mesures pour remĂ©dier Ă  l’encombrement des tribunaux et Ă  leur mauvais fonctionnement. Defensoria Maya souligne que certaines de ces mesures ne font que reprendre des principes existants depuis toujours dans le droit maya : rapiditĂ© de jugement en cas de petit dĂ©lit, possibilitĂ© de recourir Ă  la mĂ©diation, adoption de sanctions rĂ©paratrices, etc. Ainsi, le système juridique maya semble aujourd’hui adaptĂ© pour rĂ©pondre aux besoins des GuatĂ©maltèques en matière de justice. Sa reconnaissance, Ă  cĂ´tĂ© du système Ă©tatique, leur permettrait de pouvoir choisir le système le plus appropriĂ© pour faire valoir leurs droits.


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Mots-clés Accès à la justice - Culture - Justice communautaire - Pluralisme juridique - Résolution des conflits -

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