Accès au droit : à quel droit, pour quoi faire ?

Indeso-Mujer




Depuis plusieurs années, des services juridiques populaires en Amérique Latine agissent pour promouvoir l’accès au droit des personnes, les plus opprimées de la société. Depuis sa création en 1984, INDESO-MUJER (Instituto de Estudios Sociales de la Mujer, organisation basée en Argentine) en a fait l’un de ses objectifs spécifiques. Il est fondamental de savoir ce que l’on entend par "accès au droit". De notre point de vue, "avoir accès au droit" signifie connaître mais aussi comprendre les droits reconnus par les législations tant nationales qu’internationales et les mécanismes existants pour assurer leur exercice. Cette expression recouvre aussi la possibilité pour toute personne de participer à l’élaboration du droit, à la création de nouveaux droits, de nouvelles formes d’administration de la justice, de nouvelles méthodes de résolution des conflits. Elle traduit la possibilité d’exiger un accès à la justice, dans des conditions qui soient égales pour tous et de participer activement à l’élaboration des normes qui régissent la vie en société. L’accès au droit renvoie, en définitive, au plein exercice de la citoyenneté par tous les secteurs de la communauté. En effet, être citoyen ne se réduit pas uniquement à l’exercice du droit de vote lors des élections. La citoyenneté se vit aussi dans tous les moments de la vie quotidienne, dans tous les domaines de la vie sociale. Etre citoyen/enne, c’est faire partie d’une communauté, où chaque être humain peut avoir une existence digne de sa condition, dans tous les aspects de sa vie. L’exercice concret de la citoyenneté, implique la participation réelle à la création des normes et à la modification de celles qui existent. Dans un monde où, comme aujourd’hui, la globalisation de l’économie provoque de plus en plus d’exclusion, travailler pour l’accès au droit des plus démunis consiste à explorer l’un des multiples chemins qui mènent à l’insertion. A l’instar de ce qui est proclamé par la Constitution en Argentine (" tous les habitants sont égaux devant la loi"), tous devraient, dans un Etat de droit, avoir un accès égal aux droits et à la justice. Cependant, nous savons que ce principe a toujours été une fiction et le demeure encore. Dès l’énoncé de la première Constitution de l’Etat argentin, cette affirmation d’égalité faisait référence à "tous" et non pas à "tous et à toutes", puisque les femmes étaient considérées à cette époque comme "incapables" ; comme les mineurs et les sourds-muets qui n’avaient pas les mêmes droits que les hommes et n’étaient pas considérés comme égaux devant la loi. En conséquence, plus de la moitié de la population n’était légalement pas égale à l’autre moitié. En France, au moment de l’adoption de la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen" en 1791, la situation était similaire. A l’époque, Olympia de Gouges, comprenant que la Déclaration excluait les femmes de son bénéfice, publia, deux ans plus tard, la "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne" et fut condamnée à mort pour cet acte. Face à l’égalité formelle proclamée par la loi, on constate en pratique une inégalité réelle dans notre vie quotidienne, non seulement pour des raisons de sexe, mais aussi économiques, ethniques, sociales, religieuses. Si l’égalité proclamée par la loi est une fiction, il nous semble néanmoins que ce principe existant doit servir d’instrument, d’outil à ceux et celles qui ne sont pas bien traité(e)s afin qu’ils puissent agir en conséquence et modifier leur situation. Mais, comment critiquer et utiliser quelque chose que l’on ne connaît pas ou que l’on ne comprend pas¤ ? Comment exiger le respect des droits dont on ignore l’existence ? Comment créer de nouveaux droits, ceux qui naissent de la connaissance et du vécu, de la conscience de ses propres besoins, s’il n’y a pas d’accès aux mécanismes ni aux institutions mises en place précisément pour créer du droit ? Comment exiger un traitement égalitaire de la part de la justice si elle n’est pas démystifiée et si le pouvoir des "maîtres du droit" - juges, avocats, institutions de justice - n’est pas remis en question ? Comment comprendre le texte de la loi si son langage est inaccessible pour les personnes ne faisant pas partie de l’élite ? Comment exercer la citoyenneté si, comme en Amérique latine, la lutte pour la survie occupe la majorité du temps de la population et si seulement quelques privilégiés profitent de ses bénéfices ? Pourquoi travailler pour faciliter l’accès à un droit qui légitime les injustices defait¤ ? Voilà quelques-unes des questions que nous devons nous poser et qui restent toujours ouvertes à la discussion. Pour Indeso-Mujer, l’accès au droit est donc lié à l’exercice de la citoyenneté. Nous pensons que dans un processus de revendication de respect et de dignité, il importe que les populations concernées, c’est-à-dire les hommes et les femmes qui pendant longtemps sont restés étrangers au droit, commencent à participer à son élaboration et à l’obtention de transformations qui vont dans le sens d’un renforcement de la démocratie représentative. La démocratie représentative implique en principe, l’obligation pour les représentants choisis de rester fidèles à leurs engagements, c’est-à-dire à leurs promesses électorales. Mais souvent, la volonté des représentants se substitue totalement à la volonté des représentés, dont les protestations populaires constituent alors les seules armes pour faire connaître leur mécontentement. Lorsque ces protestations sont sauvagement réprimées, comme c’est souvent le cas en Amérique latine, la fragile démocratie que nous vivons n’est qu’un leurre. Et lorsque le pouvoir du citoyen, support essentiel à la démocratie représentative, lui fait défaut, elle devient moins démocratique... Il devient alors nécessaire de "démocratiser la démocratie", de la rendre plus participative. Dans la démocratie participative, les représentants ne se substituent pas au pouvoir du peuple, mais ils respectent leur rôle, qui consiste à être simplement des mandataires de la volonté de leurs représentés. Faire connaître le droit existant, démystifier le langage de la loi, faire en sorte que ce langage puisse être compris, que chacun puisse être conscient des droits proclamés par la loi, les utiliser, ne pas permettre qu’ils soient violés par ceux qui les ont créés, faire appel à la justice et en critiquer sa fausse impartialité signifie, en définitive, constituer un contre-pouvoir. Contre-pouvoir que chaque citoyen ou citoyenne doit exercer sur les pouvoirs publics, pour résister à tout asservissement. Accéder au droit implique de se positionner comme sujet de droits, citoyen/enne, pour pouvoir, à partir de là, contribuer à la démocratisation de la démocratie, à l’insertion des exclus, au respect de ceux qui sont traités comme inégaux car différents. Les fictions juridiques cachent les mécanismes perpétuant les oppressions et les injustices. Pouvoir les révéler et les dénoncer est un pas vers une société sans exclusion.


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Mots-clés Accès au droit - Citoyenneté - Démocratie participative - Droit - Droits des femmes - Femme - Formation - Vulgarisation du droit -

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