Groupe de réflexion et d’action Femmes, Démocratie et Développement
Le Groupe de réflexion et d’action Femmes, Démocratie et Développement (GF2D -CRIFF) est une association de femmes bénévoles créée en 1992 à Lomé (Togo). Ses objectifs sont de faire prendre conscience aux pouvoirs en place de la nécessité de concrétiser les droits pour la femme, de les faire participer à la vie publique et de promouvoir le bien-être des populations en général. Le Groupe possède un bulletin de liaison, Femme autrement, qui contient de nombreux articles d’information juridique présentés sous différentes formes. Dans le cadre d’échanges d’expériences, une parajuriste, y rend compte de son travail sur le terrain. Notons que les parajuristes sont des personnes qui, à la suite de formations dispensées par les associations locales, oeuvrent dans le domaine de la vulgarisation du droit, apportent aux communautés où elles vivent une connaissance de la fonction du droit, de la façon dont on peut l’utiliser et dont on peut le défendre. Issus de catégories sociales et professionnelles variées, les parajuristes agissent comme des intermédiaires pédagogiques, capables de faire le lien entre les réalités de la vie quotidienne et le droit. Femme Autrement : Madame Ali-Akan, parlez-nous un peu de vos activités de parajuristes. Mme Ali-Akan : Je voudrais dire qu’être parajuriste m’a beaucoup intéressée, parce que la formation que j’ai reçue m’aide à mieux remplir mes tâches. Je suis en effet technicienne spécialisée en promotion féminine. Et tout ce que j’ai appris m’est utile¤ : les droits des femmes, les coopératives et leur fonctionnement, le crédit bancaire, etc. FA : Comment conciliez-vous le travail de parajuriste et les activités de la production féminine ? Mme A-A : Très facilement. Dans un groupement féminin, les femmes pensent que les hommes doivent leur donner des idées, pour résoudre leurs problèmes et approuver les choix qu’elles font. Le rôle de la parajuriste et celui de la technicienne de la promotion féminine ne font plus qu’un, quand il s’agit d’apprendre aux femmes à se faire confiance, à assumer leurs responsabilités, à ne pas avoir peur de s’affirmer. Qui, mieux que les femmes, peut connaître leurs problèmes, et trouver les solutions les mieux adaptées ? Je prends un exemple : un groupe de femmes a besoin d’un secrétaire. Il faut tout faire pour donner ce poste à une femme. Car, même si au préalable elle n’a pas eu de formation, elle se formera en occupant ce poste. Il faut apprendre à refuser les solutions de facilité. Un autre exemple, celui d’un groupement mixte. Il faut que les femmes acceptent et aient le courage d’occuper des postes de responsabilité dans le comité de gestion. C’est à ce prix qu’elles pourront faire entendre leurs voix et faire passer des décisions favorables. FA : Quel est l’intérêt d’être parajuriste ? Mme A-A : Cela m’a, en premier lieu, permis d’entrer en contact avec les femmes de ma communauté et de me rendre compte qu’elles connaissaient leurs droits, mais ne savaient pas comment en faire usage. Ensuite, j’ai pu rencontrer des femmes de divers milieux et me familiariser avec leurs problèmes familiaux. Un autre intérêt : la parajuriste joue souvent le rôle de modérateur en apaisant les gens, face à un conflit. Pour finir, je dirais que les femmes sont contentes d’être informées sur leurs droits. Leur joie est communicative puisqu’elle retombe sur la parajuriste qui, du coup, se sent utile. FA : Vous évoquiez les problèmes des femmes. Quels sont-ils ? Mme A-A : Les plus fréquents sont ceux relatifs à la polygamie et à l’autorité parentale. Beaucoup de pères se plaignent que les enfants ne les respectent plus. Or, ces pères, pour la plupart, refusent de s’occuper de leurs enfants. Souvent ce sont les mères qui en pâtissent. Dans ces conditions, comment ces hommes osent-ils parler d’autorité paternelle alors qu’ils ne remplissent pas leurs devoirs de père ? C’est la même situation qui se présente dans les cas de polygamie où, bien souvent, les femmes supportent seules les dépenses du ménage, y compris la scolarité des enfants. FA : Est-ce la polygamie qui est contestée ou la manière désinvolte dont se comporte le polygame ? Mme A-A : La polygamie est une option et chacun est libre de faire son choix. Mais là où le bât blesse, c’est quand l’homme n’assume pas ses responsabilités envers ses femmes. Le Coran exige une justice scrupuleuse envers les co-épouses. Or, ce n’est pas le cas la plupart du temps. Quand l’homme épouse une nouvelle femme, il oublie la première, causant beaucoup de souffrance. La première femme cherche refuge ailleurs, quitte à se rendre compte que ce n’était pas la bonne solution. Mais l’adultère est, hélas !, déjà commis. FA : Ces problèmes-là sont le lot commun de toutes les femmes et c’est un travail de longue haleine. En tant que parajuriste, avez-vous pu être efficace dans des cas précis ? Mme A-A : J’ai été confrontée, avec une autre parajuriste, aux problèmes du mariage précoce et forcé. Une jeune fille de 14 ans avait été donnée en mariage à un vieux polygame qui avait déjà trois épouses. La fille a fait une fugue et a refusé ce mariage. Nous sommes intervenues tant auprès du père que de la jeune fille. Le père qui, au départ, se montrait inflexible et rejetait toute ingérence dans des affaires ne concernant que lui-même et sa famille, s’est progressivement laissé fléchir et a permis à sa fille de continuer ses études. Il faut dire que cela a demandé du temps, de la patience et beaucoup de tact pour convaincre et rassurer le père. FA : Pourquoi le père tenait-il à tout prix à ce mariage ? Mme A-A : Il pensait que le destin d’une femme c’est le mariage. Quand il est précoce il est réussi, car la jeune fille est plus malléable et plus obéissante et dans l’au-delà le père sera récompensé pour avoir accompli son devoir de père. FA : Il y a partout dans notre pays, un travail de reconversion des mentalités. Mme A-A : Bien sûr, dans nos milieux on dit toujours que la femme est la moitié tandis que l’homme est plein. Donc les hommes manifestent une certaine condescendance à l’égard des femmes. Il faut faire comprendre à nos soeurs de ne pas se laisser enfermer dans un moule, que nous sommes des êtres à part entière. Pour cela, il faut travailler, montrer à tous nos capacités. Et prouver à tous notre maturité pour un meilleur devenir de notre société.